La sortie du président du Bénin, Patrice Talon, la semaine dernière sur la proposition de huit pays d’Afrique de l’Ouest de retirer leurs réserves en devises de la banque centrale française a suscité une vague de réactions. Les experts ont exposé les implications diverses de cette décision tant audacieuse que difficile.
Pour plusieurs observateurs et analystes économiques, l’initiative des pays de la zone CFA de retirer leurs réserves en devises de la banque centrale française, aura sans aucun doute de graves répercussions sur l’économie française mais aussi pourrait contenir de nombreuses ramifications politiques, alors même qu’elle a été largement saluée sur le continent africain. Cette décision s’accompagne également de la décision de remplacer le franc CFA, la devise liée à l’euro utilisée dans 14 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, par une nouvelle monnaie commune de l’Afrique de l’Ouest, nommée éco.
« Nous sommes tous d’accord sur ce point, à l’unanimité, pour mettre fin à ce modèle », a déclaré jeudi à la presse française le président béninois Patrice Talon. Aussi, le Bénin, le Togo, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Niger et la Guinée-Bissau ont maintenant décidé de déplacer leurs réserves au Sénégal, à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Le CFA, spécialement créé en 1945 pour les colonies françaises d’Afrique, est lié à l’euro et sa convertibilité est garantie par la France, rappelle l’agence Anadolu. Selon cet arrangement, décrit par les analystes comme une relique coloniale, ces pays africains ont dû déposer la moitié de leurs réserves en devises à la banque centrale française.
Des implications réelles
Selon l’analyste Ougandais, Fred Muhumuza, enseignant de sciences économiques à l’Université de Makerere, l’un des plus grands et des plus anciens établissements d’enseignement supérieur d’Ouganda, cité par Anadolu, « le dépôt de monnaie dans les pays développés visait à l’isoler des instabilités politiques du pays d’origine ». « Ils (les pays en développement) conservent également leurs réserves dans les banques centrales des pays développés, pour obtenir de bons rendements », a-t-il déclaré. Cependant l’économiste révèle a Anadolu, qu’en réalité, « il est également vrai que ces réserves constituent une bonne ressource pour les pays développés et non pour leurs véritables propriétaires ».
Comme le soupçonnent plusieurs observateurs, l’expert ougandais met en évidence le fait que «la perte d’un pool de ressources et le contrôle des économies de ces pays aura des effets en cascade sur la France, qui pourraient ne pas prendre la décision à la légère. Il sera difficile de transférer des réserves. Il y avait des propositions similaires avant. Ils ne se sont jamais matérialisés ». Il va sans dire que la France pourrait mettre tout en œuvre pour que cela n’arrive « jamais », et ceci, en usant de tous les moyens pour mettre les bâtons dans les roues de la CEDEAO. Ceci pourrait aussi prendre des proportions politiques avec des formes d’ingérences.
Mais à quand la matérialisation ?
Le président Talon a convenu que la décision pourrait prendre du temps, mais elle a été adoptée lors de la réunion de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En juillet, rapporte Anadolu, les dirigeants de la région ont également adopté une proposition visant à introduire la monnaie unique, l’éco, pour l’ensemble de la région d’ici 2020. Au cours de la première phase, les pays ayant leurs propres devises (Gambie, Ghana, Guinée, Nigéria et Sierra Leone) lanceront l’éco. Dans une seconde phase, les huit pays membres de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) ayant en commun le franc CFA (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Mali, Togo, Niger, Bénin et Guinée-Bissau) seront couverts.
« L’injustice dure depuis trop longtemps. Il est temps de discuter de questions avec la France pour clarifier beaucoup de choses, pour nous permettre d’avoir notre souveraineté monétaire. Nous ne l’avons pas aujourd’hui », a déclaré lundi, le président tchadien Idris Debby, lors d’un point de presse. Selon un autre expert de la (CEDEAO) interrogé par Anadolu, Bashiru Animashaun, « le succès de l’union monétaire dépendra des dispositions des États membres, en particulier des pays francophones, qui comptent encore pour beaucoup sur la France ». Il est donc temps pour les pays francophones en occurrence leurs dirigeants de prendre leur destin en main et d’arrêter d’être les hôtes d’un parasite qui semble prendre le contrôle d’eux.