Véritable crève-coeur pour les célibataires, travaux forcés de l’amour pour les couples… Et si la Saint-Valentin reposait avant tout sur la culpabilité masculine ? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann décrypte ce qui se cache derrière les petits coeurs en velours rouge et les bouquets de fleurs.
Certaines dates sont redoutables pour les célibataires. Mais rien n’égale en horreur la Saint-Valentin. Les petits cœurs en velours rouge ou en chocolat sont autant de crève-cœur. Et ne parlons pas de sortir au restaurant ce soir-là ! Comment trouver sa place sans se sentir montré du doigt entre les alignements de tables pour deux avec bougie ? Officiellement, la Saint-Valentin se présente comme la fête de l’amour.
En réalité, elle est bien davantage la fête du couple, voire de la norme conjugale, qui stigmatise ceux dont la vie privée est différente. À la Saint-Valentin, il en est qui rasent les murs. Et tout cela sans parler du commerce ! La Saint-Valentin est avant tout la fête des fleuristes et des restaurateurs. Mais cela n’explique pas tout.
Malgré des efforts marketing considérables, la fête des grand-mères ou celle des secrétaires ont fait un flop. Si la Saint-Valentin a pris une telle ampleur et se maintient, c’est qu’il y a des raisons. Une surtout : la culpabilité masculine.
Les attentes ne sont pas unanimes vis-à-vis du couple. Beaucoup de femmes rêvent de merveilles, d’une attention continuelle. Les hommes ne sont pas contre, en principe. Mais dans la réalité quotidienne, ils sont d’abord attirés par un idéal de réconfort tout simple, fait de bonheur de l’instant, sans prise de risque ni tension. Le décalage est donc évident, et les hommes en ont conscience. Ils savent qu’ils créent régulièrement une vague insatisfaction chez l’autre.
La Saint-Valentin se présente alors comme une compensation symbolique, un grand rattrapage. Mais un rattrapage obligatoire. Gare à l’homme qui oublierait la date ! Maintenant que les petits cœurs sont partout, l’absence de cadeau équivaut à une déclaration de désamour.
Et il y a pire. Le bouquet de fleurs trop habituel (les mêmes roses depuis des années) risque de signaler un sentiment un peu fade et routinier, voire un amour en baisse. Il faut donc faire mieux que ce que l’on a déjà fait (un cadeau inattendu visant au plus juste des aspirations secrètes, une déclaration publiée par voie de presse, etc.).
Hélas ! le pauvre amoureux s’engage alors dans une spirale infernale, où il lui faudra chaque année inventer davantage. D’autant qu’il doit ne pas faire moins que ses collègues, amis, cousins ou voisins. Les hommes ont béni la Saint-Valentin au début. Un bouquet suffisait pour effacer la culpabilité accumulée depuis des mois.
En fait, bouquet après bouquet, ils construisirent le piège collectif qui allait bientôt les enfermer. Les voici désormais condamnés rituellement aux travaux forcés de l’amour, consistant à être les princes charmants d’un jour.
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