Candidat à présider la France à partir de mai 2017, il rendit visite aux Algériens et leur avoua que la colonisation française (à l’instar de toute colonisation) était un crime contre l’humanité. Cet aveu lui valut moult cris de haine à domicile. Jeune homme gaffeur. Crime de lèse-France. Haro sur le baudet. Indice d’amour à la baisse. Il n’avait pourtant énoncé que l’évidence de l’histoire, donnée à lire à tous dans des ouvrages très bien documentés.
En 2001, le général Paul Aussaresses, acteur de la guerre d’Algérie, écrit, quarante ans plus tard, ‘‘Services spéciaux – Algérie 1955-1957’’. Plus de 200 pages. Il y évoque, sans fard, ‘‘des faits graves qui touchent aux méthodes utilisées pour combattre le terrorisme, et notamment à l’usage de la torture et aux exécutions sommaires’’. La France occupanteavait décrété ‘‘l’Algérie française’’, et ne pouvait accepter qu’on l’en délogeât. La guerre franco-algérienne fut totale, violente, déchirante. Des terroristes, les Algériens indépendantistes ? De Gaulle mit fin au terrible malentendu par l’ambigu ‘‘Je vous ai compris’’.
Avant Aussaresses, Adam Hochschild avait publié ‘‘Les fantômes du roi Léopold’’. Plus de 400 pages. Il y fait ressurgir l’enfer vécu par les Congolais, Léopold II de Belgique étant propriétaire de l’actuelle RDC. Et quand on est informé du ‘‘détail de l’histoire’’, comme on dit en France chez lesLe Pen, le sous-titre de l’ouvrage est d’une éloquence terrifiante : ‘‘Un holocauste oublié.’’ Au milieu du livre, l’auteur glisse le témoignage de E. D. Morel, un haut cadre commercial qui n’est pas un ange : ‘‘Tomber par hasard sur un meurtre doit déjà être assez pénible. J’étais tombé sur une société secrète d’assassins chapeautée par un roi.’’
Avant le mémorialiste et le journaliste, Aimé Césaire s’était fait essayiste. Il publia en 1989 ‘‘Le discours sur le colonialisme’’, texte remanié d’une conférence qu’il ne prononça jamais parce que les commanditaires n’avaient pas supporté que leur compatriote des Antilles farfouillât dans la Bibliothèque Nationale pour en ramener des histoires du genre : ‘‘Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’Artichauts, mais bien des têtes d’hommes.’’ Le colonel de Montagnac parlait ainsi de ses hauts faits en ‘‘Algérie française’’. Haro sur Aimé Césaire. On refusa de l’entendre.
Au‘‘crime contre l’humanité’’ la France préfère la ‘‘Mission civilisatrice de la France’’. Car la France coloniale a prodigué aux colonisés des soins de santé primaire pour qu’ils tiennent bon et travaillent bien etproduisent beaucoup. Car la France coloniale a bricolé des ponts de fortune et improvisé des routes de terre battue entre la campagne et la mer pour assurer le transfert des produits tropicaux vers le port de Marseille. Et ellea regroupé les colonisés dans des espaces improbables à haute teneur de conflits, parce qu’on y trouve mêlés Touaregs et Malinkés, nomades et sédentaires. Et elle les a gardés hors de l’univers de la science en interdisant d’écriture leurslangues. Et elleles a ligotés à sa langue, à son franc CFA, à son Elf-Gabon, àson-Elf Congo, etc., avant de s’en aller en ayant empoché leurs cartes géologiques. Car pour perpétuer son règne et pour que jamais ne s’éteigne l’ordre colonial, la France coloniale a seméde bombes à retardement les espaces qu’elle a colonisés.
Expliquer donc la colonisation aux Français, c’est les éclairer sur l’évolution du monde en leur révélant que les colonisés d’hier s’organisent aujourd’hui dans un effort conscient de desserrement des garrots que la France coloniale leur a posés, que ce mouvement essentielde reconquête de soi est peut-être aussi l’une des causesdu charivarioù leur pays se débat, qu’ils doivent balayer lanostalgie du hamac dans lequel se baladaient sous les tropiques leurs ancêtres portés à dos d’hommes ahanant sous le soleil. C’est dire aux Français qu’est venu pour la France le temps d’adhéreravec sincéritéà la solidarité des peuples.
Par Roger Gbégnonvi